Latence de la vie, latence de la mort dans les collections végétales
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Le 06 fév. 2025
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14:00 - 17:00
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Séminaire
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MNHN. 45 rue Buffon, Paris, Grand amphithéâtre d’entomologie (rez-de-chaussée bâtiment d’entomologie).
Également à distance : lien de connexion sur demande
Cette séance renvoie aux phénomènes de suspension de la vie dans certaines collections sèches, qui n’entrent pas d’emblée dans la catégorie de collections vivantes…
Invité(e)s :
Germinal Rouhan, systématique et évolution de la biodiversité, Maître de conférences MNHN, responsable scientifique de l’herbier du Muséum
“L’Herbier national : des collections anciennes et mortes, d’une grande vitalité scientifique actuelle”
Stéphane Tirard, épistémologue et historien des sciences de la vie et de la médecine, Professeur Nantes Université
“La vie latente, un état biologique courant, mais un impensé théorique ?”
Résumés, bios et bibliographie :
Germinal Rouhan – “L’Herbier national : des collections anciennes et mortes, d’une grande vitalité scientifique actuelle” – L’Herbier national du Muséum est sans doute le plus grand au monde, avec 8 millions de spécimens. Les organismes conservés, plantes vasculaires, mousses, algues, lichens et autres champignons, sont de différentes nature (herbiers, organes en alcool, bois, lames etc) mais par définition sont secs et biologiquement morts une fois constitués dans cet ensemble de collections. Indéniablement, les herbiers véhiculent toujours l’idée d’ancienneté, de simplicité, et parfois même de désuétude. Pourtant la vie des herbiers est plutôt trépidante car les collections sont en mouvement et bien que certains objets aient quasiment quatre siècles, tous s’ancrent pleinement dans le 21e siècle, par la source de données potentielles qu’ils représentent pour répondre à des questions scientifiques et environnementales actuelles et qui se diversifient continuellement. Pour illustrer ce propos, l’exposé présentera d’abord l’Herbier, son histoire, son enrichissement, et le fonctionnement de cette grande collection internationale. Ensuite, plusieurs exemples seront présentés pour illustrer la grande vitalité scientifique des herbiers.
Germinal Rouhan est botaniste. Maître de conférences du Muséum national d’Histoire naturelle, il est chercheur à l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (ISYEB), et responsable scientifique de l’Herbier du Muséum. Ses recherches s’inscrivent dans des perspectives d’exploration, de description et d’analyse de la biodiversité ; elles se situent dans le domaine de la systématique et de l’évolution des plantes vasculaires, en particulier des fougères et lycophytes.
Muller S., Invernon V., Rouhan G. 2021. “Les herbiers, témoins des enjeux de conservation de la biodiversité et des impacts des changements globaux”. pp. 253-270. In Les collections naturalistes dans la science du XXIe siècle (Pellens R., ed.). ISTE Editions. ISBN 9781789480498. https://doi.org/10.51926/ISTE.9049.ch16 https://hal-mnhn.archives-ouvertes.fr/mnhn-03324284
Besnard G., Gaudeul M., Lavergne S., Muller S., Rouhan G., Sukhorukov A.P., Vanderpoorten A., Jabbour F. 2018. “Herbarium-based science in the 21st century”. Botany Letters 165(3-4): 323–327. https://doi.org/10.1080/23818107.2018.1482783 https://hal.science/hal-02348659
Stéphane Tirard – “La vie latente, un état biologique courant, mais un impensé théorique ?” — La vie latente est un état caractérisé par un arrêt du métabolisme d’un organisme pendant une durée plus ou moins longue de son cycle de vie. Certaines graines de végétaux, les mousses ou encore les tardigrades et les rotifères en sont des exemples connus de longue date. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle des méthodes de cryoconservation exploitent cette propriété en plaçant en vie latente des objets biologiques dépourvus naturellement de cette capacité. Il s’agit par exemple d’embryons et de gamètes de mammifères, y compris humains dans le cadre de la procréation médicalement assistée, de tissus végétaux en vue de la conservation de variétés ou de cellules conservées à des fins de recherche.
Un regard historique porté sur les études de la vie latente depuis le XVIIIe siècle montre qu’à plusieurs reprises elle a fait l’objet d’une réflexion théorique notamment sous la plume de Lazzaro Spallanzani, (1729-1799), Michel Doyère (1811-1863), Claude Bernard (1813-1878) ou Daniel Keilin, auteurs dont nous rappellerons les propos. En revanche, depuis le milieu du XXe siècle, alors que la vie latente est désormais exploitée dans de nombreux contextes, nous notons la rareté des réflexions synthétiques sur cet état biologique pourtant si important. La deuxième partie de cette intervention s’interrogera sur ce paradoxe.
Stéphane Tirard est professeur d’épistémologie et d’histoire des sciences de la vie et de la médecine à Nantes Université. Il travaille notamment sur des sujets relatifs aux limites de la vie et a publié : Histoire de la vie latente. Des animaux ressuscitants du XVIIIe siècle aux embryons congelés du XXe siècle, Paris, Adapt-Vuibert, 2010.
Bernard C. [1878], Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, avec une préface de Georges Canguilhem, Paris, Vrin, 1966.
Doyère M. L., Mémoire sur l’organisation et les rapports naturels des tardigrades et sur la propriété remarquable qu’ils possèdent de revenir à la vie après avoir été complètement desséchés Propositions sur la physiologie et l’histoire naturelle, Paris, Imprimé chez Paul Renouard, 1842.
Keilin D., “The problem of anabiosis or latent life: history and current concept”, Proceedings of the Royal Society of London, 1959.
Lemke T., “Conceptualising Suspended Life: From Latency to Liminality” Theory, Culture & Society, 2023, 40 (6), 69-86.
Spallanzani L., Nouvelles recherches sur les découvertes microscopiques et la génération des corps organisés. Ouvrage publié en français, traduction de l’Abbé Regley, texte initial de Spallanzani, notes et commentaires de Needham, Lacombe, 1769.
Spallanzani L., Opuscules de physique animale et végétale, à Genève, Chez Barthelemi Chirol, 1777.
Radin J., Life on Ice A History of New Uses for Cold Blood, Chicago, University of Chicago Press, 2017.
Tirard S., Histoire de la vie latente des embryons aux animaux ressuscitants, Paris, Adapt-Vuibert, 2010.
Tirard S., « Les grainothèques : conserver et préserver grâce à des espaces biotechniques de temporisation », Emanuele Clarizio, Céline Chérici, Jean-Claude Dupont Xavier Guchet, Yves-Edouard Herpe (Dirs), Conserver le vivant, Paris, Editions Matériologiques, 2022, pp. 283-300.