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Portrait de doctorante : Floriane Gerony

Floriane Gerony est lauréate d'un contrat doctoral OPUS depuis 2021. Elle nous parle de son parcours et de sa thèse « Peindre a tempera du XIIIe au XVe siècle : du musée au laboratoire » sous la direction de Maguy Jaber (LAMS-SU) et Guillaume Mériguet (PHENIX-SU).

La tempera : une technique de peinture ancienne

Le projet doctoral de Floriane Gerony a pour objet l’étude d’une technique de peinture utilisée depuis l’Antiquité : la tempera à l’oeuf.
Le mot « tempera » est tiré du latin temperare qui signifie « détremper ». Cette technique consiste à émulsionner jaune d’œuf, blanc d’œuf ou œuf entier avec de l’eau afin d’obtenir un liant fluide, facilitant l’application de la peinture. Le liant permet aux pigments de former une matière qui puisse adhérer au support peint. La peinture a tempera présente l’avantage d’obtenir une excellente tenue de la peinture, mais l’inconvénient de sécher très vite et de ne pas permettre de reprises. Utilisée par les peintres jusqu’au XVe siècle, elle fut associée, puis progressivement remplacée, par la peinture à l’huile qui présente l’avantage d’être plus résistante et de sécher plus lentement.

Contrairement à la peinture à l’huile, la peinture a tempera a fait l’objet de peu d’études physico-chimiques.
L’objectif de la thèse est de mieux comprendre cette technique artistique, les recettes utilisées ainsi que son évolution du XIIIe au XVe, période à laquelle elle connaît son apogée.

Timarète peignant la Vierge, enluminure du manuscrit de Boccace, 1403, BnF

Entre art et sciences

Fréquentant les musées et les expositions depuis son enfance, Floriane Gerony s’intéresse dès le collège à la restauration du patrimoine après la lecture d’un article de presse.
Hésitant entre l’histoire de l’art et les sciences, elle s’oriente vers des études de physique et de chimie.

Après une classe préparatoire en physico-chimie, Floriane Gerony contacte le directeur d’un master archéométrie* qui lui conseille de poursuivre ses études en école d’ingénieur pour ensuite se spécialiser en sciences du patrimoine. Son stage en archéométrie à l’Institut de recherche sur les Archéomatériaux – Centre de recherche en physique appliquée à l’archéologie (IRAMAT-CRP2A) aujourd’hui Archéosciences Bordeaux confirme son envie de travailler sur les matériaux du patrimoine. Elle termine son cursus par l’Ecole Nationale de Chimie de Paris (ENSCP - Chimie Paris Tech) et fait son stage de fin d’études à l’Institut de Recherche de Chimie Paris (IRCP) et au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) à Paris qui lui donne l’exceptionnelle opportunité de travailler sur les briques mésopotamiennes antiques glaçurées de Khorsabad et de Suse conservées au musée du Louvre.

Etude des liants en peinture

Son projet de thèse a commencé en novembre 2021, au Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (LAMS) et à celui de PHysicochimie des Electrolytes et Nanosystèmes InterfaciauX (PHENIX) à Sorbonne Université, par la recherche de recettes dans des manuscrits anciens.
L’ouvrage le plus connu sur le sujet est le « Libro dell’arte » du peintre toscan Cennini écrit au XVe siècle[1]. Mais il y est plus fait mention de pigment que de liant.

Si l’analyse des pigments dans les peintures est à présent bien connue par les scientifiques, celle des liants reste difficile à établir du fait de la diversité des matériaux composant les liants.  De plus, les techniques utilisées pour ces analyses étaient jusqu’à présent souvent destructives des prélèvements.

Il existe aujourd’hui des techniques plus performantes et moins invasives, pouvant même être réalisées directement sur l’œuvre in situ, dans la salle du musée où elle est exposée.

Un corpus d’œuvres du musée Capodimonte à Naples (Italie) a ainsi fait l’objet d’une série d’analyses : analyses de fluorescence X (pour déterminer les éléments chimiques), images hyperspectrales infrarouge jusqu’au visible (pour voir le liant).

En laboratoire, Floriane Gerony reproduit des recettes anciennes, étudie la viscosite et l’élasticité des différentes formulations grâce à la rhéologie*, ainsi que leur séchage grâce à la relaxométrie* RMN du proton 1H. [2]

Elle espère ainsi mieux comprendre comprendre le vieillissement des peintures et ainsi contribuer à leur conservation.

Reproduction d’une recette de peinture a tempera pour l’étude de ses propriétés mécaniques

Fun facts :

Depuis le début de sa thèse les recettes de financiers et de meringues n’ont plus de secret pour Floriane. Elle utilise parfois plus de 10 jaunes d’œufs (bio !) pour ces expériences et est toujours à la recherche de nouvelles recettes pour cuisiner les blancs et ne pas les perdre.  Avis aux amateurs !

 

Petit lexique de physico-chimie :

  • Archéométrie : discipline scientifique utilisant les méthodes physique et chimiques pour les études archéologiques.
  • Rhéologie :  science de l’écoulement, permet d’évaluer les propriétés viscoélastiques d’un matériau par l’étude de sa réponse à une contrainte mécanique.
  • Relaxométrie RMN du proton 1H :  étude de la mobilité moléculaire au sein d’un matériau par la mesure des temps de relaxation des protons.

Etude d’un échantillon de peinture a tempera avec un relaxomètre RMN

Références bibliographique

[1]    C. Cennini et L. Broecke, Cennino Cennini’s Il libro dell’arte: a new English translation and commentary with Italian transcription. London: Archetype Publications, 2015.
[2]    A. Fanost et al., « Connecting Rheological Properties and Molecular Dynamics of Egg-Tempera Paints based on Egg Yolk », Angewandte Chemie International Edition, vol. 61, no 1, p. e202112108, 2022, doi: 10.1002/anie.202112108.

 

Focus

Cennino Cennini a écrit un ouvrage, le Libro dell'arte (Livre de l'art ou Traité de la peinture), considéré comme un véritable traité de l'art de la Renaissance, marquant le passage de l'art du Moyen Âge à celui de la Renaissance. Il contient toutes sortes de conseils tant sur les techniques de peinture, sur les couleurs, les pinceaux, les fresques. Il y reconnait l'apport de Giotto qui a rendu « latin » l'art byzantin. Le manuscrit de cet ouvrage, qui fait partie de la Bibliothèque Laurentienne de Florence, est daté de 1437. Écrit à l’articulation des XIVe et XVe siècles à Padoue, il s'agit du premier traité écrit en langue vulgaire (soit, non pas en latin mais, ici, en italien) connu à ce jour. Le mot « art » y est utilisé, comme dans la Divine comédie de Dante, dans son acceptation moderne d'art pratiqué par des artistes et non d'artisanat accompli par des artisans.
(Source Wikipedia)